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En France, un ancien haut fonctionnaire face à la justice : il forçait les femmes à uriner devant lui

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© Getty Images

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Ce 20 janvier s’est tenue une audience au tribunal administratif de Paris relative à l’affaire Christian N., du nom de cet ancien haut fonctionnaire du ministère de la Culture, en France. De 2009 à 2018, en tant que responsable des ressources humaines, il a administré des médicaments diurétiques à des candidates reçues en entretien d’embauche avant de les isoler loin des toilettes lors d’une promenade à l’extérieur qu’il imposait pour qu’elles soient obligées d’uriner devant lui, ou parfois même sur elles.

Il les photographiait également à leur insu et a tout consigné dans un fichier Excel qu’il conservait sur son ordinateur, intitulé "Expériences". Selon Mediapart, au moins 250 femmes sont concernées.

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Fin 2018, Christian N. a été dénoncé après avoir photographié les cuisses d’une sous-préfète. Il a été révoqué et une enquête a été ouverte en janvier 2019 par le parquet de Paris. Il a reconnu une partie des faits, et a été mis en examen pour "administration de substance nuisible", "agression sexuelle" et "atteinte à la vie privée". Cette enquête, en vue de la procédure pénale, est toujours en cours.

Une deuxième procédure, qui a mené à l’audience de janvier 2023 au tribunal administratif, visait à examiner la responsabilité de l’administration du ministère de la Culture. Plusieurs femmes ont en effet expliqué avoir dénoncé ces agissements auprès de la hiérarchie de Christian N., sans qu’il n’y ait eu de réactions.

Les victimes, pour certaines encore employées au ministère, expliquent également avoir reçu peu de soutien ou un soutien très défaillant de la part du ministère. Une victime a elle-même dû jouer le rôle de coordinatrice et conseiller les autres femmes concernées.

"Il n’y a qu’à moi que ça arrive"

Sophia (prénom d’emprunt) est l’une de ces femmes. Elle a confié son histoire aux Grenades. En 2016, après avoir accouché de son deuxième enfant, elle cherche un nouveau travail dans le milieu culturel. Elle passe un entretien d’embauche dans le bureau de Christian N., qui lui offre un café. Elle remarque qu’il consulte son téléphone (en fait, il est en train de prendre des photos d’elle).

Il lui propose ensuite de sortir à l’extérieur pour continuer l’entretien. Elle ne fait pas attention au chemin, car elle doit répondre à de nombreuses questions précises. Sophia commence alors à avoir une envie de plus en plus pressante. Gênée, elle interrompt l’entretien pour expliquer qu’elle a besoin d’aller aux toilettes. Elle comprend qu’ils sont loin du centre-ville et qu’il n’y a pas de toilettes dans les environs. Christian N. se montre désolé et fait mine d’en chercher une avec elle.

Cependant, l’entretien continue… Sophia commence à avoir mal physiquement et finit par s’uriner dessus. Voyant qu’elle va mal, Christian N. lui propose de la cacher derrière sa veste pendant qu’elle urine parterre. Sophia accepte, expliquant ne pas avoir le choix car le besoin était trop fort. Elle précise qu’il reste très près d’elle, il ne détourne pas le regard. "Je me suis dit qu’il n’y a qu’à moi que ce genre de choses arrive". Elle n’aura plus de nouvelles du poste pour lequel elle avait postulé.

Fin 2018, Sophia est contactée par une policière. Dans le fichier Excel de Christian N., l’enquête a découvert des photos d’elle, accompagnées de son nom et de son prénom. Elle comprend alors qu’elle a été piégée et qu’il y existe de nombreuses autres victimes. Sophia a immédiatement porté plainte.

C’est considéré comme une histoire de femmes qui font pipi… alors que pour moi, c’est une agression sexuelle

Elle fait aussi partie des femmes qui ont amorcé la deuxième procédure, auprès du tribunal administratif. "Même si j’ai hâte que la procédure pénale avance, cela fait des années qu’on l’attend, pour moi cette procédure-ci est très importante car elle interroge l’institution. Ils devaient être au courant en interne, au vu du nombre de femmes concernées pendant 10 ans. On sait aussi qu’on le surnommait ‘le photographe’ au sein du ministère et qu’on disait aux femmes de porter un pantalon près de lui", souligne Sophia. "Il faudrait interroger la société tout entière pour que cela n’arrive plus ! C’est tout un système qui a protégé cet homme", continue-t-elle.

La force du collectif

Le 20 janvier, elle assistait à cette première audience. "J’étais présente en soutien. Nous sommes venues en nombre, de toute la France, avec l’aide de l’association La Fondation des femmes qui nous soutient depuis le début, parce que certaines ont été découragées de porter plainte (notamment en utilisant l’excuse de la prescription, ndlr). On était tellement nombreuses qu’on a dû changer de salle d’audience ! Nous avions déjà échangé virtuellement mais c’était la première fois qu’on se rencontrait. C’est aussi la première fois de ma vie que j’ai senti la force du collectif. Les cinq avocates qui représentaient sept plaignantes ont aussi plaidé collectivement, c’était un moment puissant", raconte Sophia.

Pour Sophia, cette audience a néanmoins été "éprouvante". "La justice est une machine, qu’on ne connait pas bien avant d’y être confrontée. Par exemple, les preuves de la procédure pénale ne peuvent pas être utilisées dans cette procédure administrative. Il y a peut-être des témoignages qui manquent et qui seraient important pour comprendre la responsabilité du ministère. Je me suis aussi rendu compte de l’aspect sériel de son modus operandi, nous racontons toutes presque la même histoire. Cela m’a replongée dans mon traumatisme, et j’ai même ressenti une douleur physique similaire à ce jour-là."

Des violences minimisées

Comme d’autres victimes, Sophia garde des conséquences de sa rencontre avec Christian N. "Je suis toujours en thérapie à la suite de cette affaire. J’ai du mal à avoir un suivi gynécologique, je m’effondre. Les médicaments avec lesquels il nous a intoxiquées ne sont pas faits pour qu’on se retienne. C’est une grande douleur psychologique mais aussi physique et cela s’apparente à de la torture", explique-t-elle. "Il avait une volonté d’humilier ses victimes, aussi dans les commentaires qu’il consignait dans son document Excel. Il s’agit d’abus de pouvoir. Nous venions le voir dans le cadre d’un entretien d’embauche, à un moment clef de nos vies !"

On était tellement nombreuses qu’on a dû changer de salle d’audience !

Malgré la gravité des faits, "tout cela est minimisé", renchérit Sophia. "In fine, c’est considéré comme une histoire de femmes qui font pipi… alors que pour moi, c’est une agression sexuelle. Je trouve qu’il y a un certain désintérêt, notamment des médias. Cela s’est produit dans une institution publique et concerne beaucoup de femmes, pourtant !"

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Lors de l’audience, Olivier Magnaval, l’avocat du ministère de la culture, a expliqué aux victimes que l’institution se tenait "à leur côté" et qu’il ne "fallait pas se tromper de procès". "Cela ne me convient pas, et ne me convainc pas", réagit Sophia.

D’après Mediapart, le ministère dément avoir tardé à réagir et rappelle avoir suspendu puis révoqué le responsable des ressources humaines dès que son comportement a été dénoncé en 2018. Le ministère estime également que l’information relative aux dispositifs d’accompagnement des victimes mis en place a été largement diffusée.

En 2020, Sophia a raconté son histoire dans un podcast de Slate

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